Associé à d’autres traceurs tels que la température (T) ou la conductivité électrique (CE), le ²²²Rn s’est révélé performant pour la détection d’importants flux d’eau souterraine vers de grandes zones humides continentales et de transition, ou en mer à l’exutoire d’aquifères côtiers. En revanche, les flux faibles et diffus demeurent encore peu étudiés alors qu’ils contribuent au maintien de la riche biodiversité de plus petites zones humides, nombreuses et dispersées comme c’est le cas en Méditerranée. Le potentiel du ²²²Rn pour révéler de telles interactions reste à approfondir, et des protocoles pour garantir la qualité des mesures et des interprétations manquent en particulier lorsque les signaux sont faibles : perte du signal (dégazage, décroissance), bruit de fond (sédiments, discontinuités structurales), sensibilité et incertitude de mesure suivant le contexte géologique (volume à échantillonner ou mesure in situ), nombre d’échantillons à traiter, temps maximal entre échantillonnage et analyse (courte demi-vie), durée et nombre de répétitions de comptage, objectif poursuivi (détection vs quantification).
Afin de préciser le champ d’application du ²²²Rn dans l’étude des zones humides méditerranéennes, plusieurs centaines de données hydrochimiques (T, EC, SiO2) et d’activités ²²²Rn (Durridge® RAD7 et RAD8), issues de cours d’eau, lacs de haute montagne, mares temporaires et petites lagunes côtières, ont été collectées et seront discutées. Ces dernières proviennent de précédentes études menées en Corse, un observatoire représentatif de la Méditerranée, et dont le fond géochimique, dû à la présence des granites hercyniens, est favorable à la présence de ²²²Rn dans les eaux souterraines et les zones humides qui en sont potentiellement tributaires. Les résultats montrent que les activités ²²²Rn sont détectables sur la plupart des sites, avec un large panel d’activité, dont les plus fortes peuvent atteindre 47,000 Bq/m3. Les zones humides sont donc tributaires des eaux souterraines, mais dans des proportions variables d’un site ou d’une saison à l’autre. Dans les lagunes, ²²²Rn, T et SiO₂ augmentent à mesure que la CE diminue. Dans les fleuves et les mares temporaires, ²²²Rn, T et CE croissent ensemble lors des périodes d’étiage ou d’assèchement. En revanche, aucune corrélation systématique n’est observée entre le ²²²Rn et ces paramètres dans les lacs. De plus, le ²²²Rn s’est révélée plus sensible que T, CE et SiO₂, bien que l’interprétation de son signal demeure complexe : des niveaux faibles peuvent indiquer un apport souterrain variable ou une perte du signal, pouvant de plus être masqué par le bruit de fond. Enfin, l’échantillonnage (et non la mesure in situ) a optimisé le temps d’analyse, mais son applicabilité à l’ensemble des zones humides reste à évaluer.
En conclusion, cette étude met en évidence une claire hiérarchisation du niveau de dépendance des zones humides méditerranéennes vis à vis des eaux souterraines. Dans la mesure où cette connexion est synonyme de meilleure résilience face aux épisodes de sécheresse mais aussi d’une potentielle vulnérabilité face aux pressions humaines du bassin versant dans son entier, le ²²²Rn pourrait constituer à l’avenir un indicateur clé dans la délimitation de l’espace de bon fonctionnement des zones humides et ainsi permettre d’en optimiser leur gestion pour une conformité de long terme au regard de la DCE, à condition de disposer d’un protocole de mesure et d’interprétation fiable et standardisé.