Séminaire: Emergence de la vie multicellulaire: un chapitre nouveau vieux de 2.1 Milliards d'années
par
Prof.Abderrazak EL ALBANI(UFR SFA, UMR 6269 (HydrASA), Universite de Poitiers)
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Europe/Paris
Salle 9110 (Dept.Phys.)
Salle 9110
Dept.Phys.
Description
Emergence de la vie multicellulaire. Un chapitre nouveau vieux de 2.1 Milliards d'années
Abderrazak EL ALBANI
Université de Poitiers, IC2MP, UMR 7285(Equipe HydrASA), UFR SFA, Bat. B35
40, Av. du Recteur Pineau, 86022 Poitiers Cedex, France: abder.albani@univ-poitiers.fr
La découverte au Gabon de plus de 250 fossiles en excellent état de conservation apporte, pour la première fois, la preuve de l'existence d'organismes pluricellulaires il y a 2,1 milliards d'années. Une avancée capitale: jusqu'à présent, les premières formes de vie complexe (dotée de plusieurs cellules) remontaient à 600 millions d'années environ. De formes et de dimensions diverses, ces nouveaux fossiles supposent une origine de la vie organisée et complexe beaucoup plus précoce que celle admise jusqu'à aujourd'hui. Ils révisent ainsi nos connaissances actuelles sur l'apparition de la vie. Ces travaux ont été publiés dans la revue Nature.
Une coincidence très troublante est que ces fossiles ont été découverts à quelques kilomètres du site des seuls réacteurs nucléaires naturels connus, à Oklo. La période d'activité des réacteurs naturels est postérieure à l'apparition des fossiles, mais la question est ouverte sur l'impact de ce contexte géologique exceptionnel sur l'apparition particulièrement précoce des organismes pluricellulaires.
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L’histoire de la vie entre sa première apparition, il y a environ trois milliards et demi d’années (époque archéenne), et "l’explosion cambrienne", autour de 600 millions d’années, est très peu connue. Mais c’est au cours de cette période, appelée Protérozoïque, que la vie se diversifie: aux micro-organismes unicellulaires ayant une simple membrane mais privés de noyau - les procaryotes - s’ajoutent les eucaryotes, organismes uni- ou pluricellulaires à organisation et métabolisme plus complexes et en général de plus grande taille, caractérisés par des cellules qui possèdent un noyau contenant l'ADN.
Cette phase extraordinaire de l’histoire de la vie de notre planète, qui passionne tant géologues, biologistes, paléontologues et géochimistes, est malheureusement mal documentée par le registre fossile et l'interprétation de ses rares traces, notamment des niveaux sédimentaires du Mésoprotérozoïque (1,6-1 milliard d’années), est objet depuis toujours de discussions animées entre spécialistes.
Parfaitement préservées dans des sédiments du Gabon vieux de 2,1 milliards d'années (Ga), des restes fossiles ont été découverts montrant une impressionnante variété d’organismes coloniaux complexes, les plus anciens documentés à ce jour, de formes et de dimensions diverses, atteignant parfois 10-12 centimètres et une densité de plus de 40 spécimens au mètre carré.
Le site fossilifère gabonais, près de Franceville (d’où le nom "Francevillien" des formations géologiques), a déjà livré plus de 450 spécimens ; sa richesse et sa qualité de conservation sont sans précédent. Le niveau de complexité biologique est relativement élevé étant donné que les fossiles datent de la phase initiale du Protérozoïque, appelée Paléoprotérozoïque (entre 2,5 e 1,6 milliard d’années). Les spécimens ont été soumis à de premières analyses sophistiquées pour comprendre au mieux leur nature et reconstruire leur milieu de vie. Grâce à l’utilisation d’un type particulier de scanner tridimensionnel à haute résolution (microtomographe) disponible à l’Université de Poitiers, une exploration virtuelle des échantillons a été réalisée permettant d’apprécier le degré d’organisation interne dans les moindres détails, sans en compromettre l’intégrité. Des mesures du contenu des isotopes du soufre ont été effectuées par sonde ionique et ont permis de cartographier précisément la distribution relative de la pyrite associée au processus de sulfato-réduction à partir d’un support organique. Ceci constituait le substrat flexible de l'organisme original et qui s’est transformée en pyrite au cours de la fossilisation, et de la différencier du sédiment environnant.
Outre les résultats des analyses minéralogiques et géochimiques (isotopes du soufre et géochimie du fer…), l’étude des figures et des structures sédimentaires a révélé que les macro-organismes du Gabon, ayant subi une fossilisation rapide dans des conditions rarement aussi favorables, vivaient dans un environnement marin d’eaux oxygénées peu profondes, souvent calmes mais périodiquement soumises à l’influence conjuguée des marées, des vagues et des tempêtes. Pour se développer et se différencier à un niveau jamais atteint auparavant, ces formes ont effectivement profité d’une phase temporaire d’augmentation significative de la concentration en oxygène dans l’atmosphère, qui s’est produite entre 2,45 et 2,32 milliards d’années.
Mais par la suite, comme il est récurrent dans l’histoire de notre planète, les conditions de l’océan primitif devinrent moins favorables aux organismes à métabolisme complexe. Il faudra donc attendre le début du Cambrien, plus d’un milliard d’années après, pour assister à une nouvelle phase significative de diversification et d’expansion de la vie ("l’explosion cambrienne"), en attendant d’éventuelles découvertes extraordinaires de gisement plus anciens comme ceux du Gabon.
Jusqu'à présent, on retenait qu'avant deux milliards d'années la Terre était peuplée uniquement de microbes. Mais les fossiles du Gabon montrent que quelque chose de radicalement nouveau survint à cette époque: des cellules avaient commencé à coopérer pour former des unités plus complexes et plus grandes. A partir de ce moment, la voie s'est ouverte à de nouvelles expériences évolutives qui transformeront la biosphère en l'enrichissant d'organismes qui jouent encore aujourd'hui un rôle majeur dans l’émergence de la vie et la biodiversité.